À quoi bon apprendre la photographie en 2010 ?

Le 4 février 2010

Les progrès techniques et les capacités nouvelles du matériel photo récent peuvent laisser pantois. Alors, à l'heure où les appareils photo savent presque faire des photos seuls sans réglage, à quoi bon apprendre la photographie en 2010 ?

Que d'innovations techniques dans le domaine de la photographie depuis 15 ans… Que de nouveautés, de gadgets, d'outils réellement utiles et performants, qui permettent à tout un chacun de photographier toujours plus rapidement, toujours plus simplement, sans aucune (ou presque) connaissance en photographie (nous y reviendrons…). Il n'a pas toujours été aussi simple de s'improviser photographe, souvenons nous…

Photographe dans les précédentes décennies

Depuis 1839 (date souvent retenue pour parler de l'invention de la photographie à la suite des découvertes de Nicéphore Niépce sur l'héliographie), les choses avaient évolué, un peu, beaucoup, pour aboutir à des boitiers pratiques et efficaces. Réduction des temps de pose, amélioration de la stabilité des tirages et simplification de l'utilisation des appareils ont permis une belle démocratisation de la photographie, en même temps que l'impact des médias et de l'image grandissait, en noir et blanc d'abord, puis en couleur….

Néanmoins, dans les années 70 (et même 80…), le photographie reste un art réservé aux initiés, à ceux qui en maîtrisent la technicité et qui ont les moyens, matériels et temporels, de s'y consacrer. Pourquoi ? Parce que les appareils du type "tout automatique" ne sont pas répandus, que la pellicule et le développement photo restent onéreux, et que dans les mentalités, ce sont les photographes qui font de la photo (et quelques amateurs avertis…).

Fin des années 90, le grand boom

A l'approche du troisième millénaire, une technologie toute nouvelle allait changer la donne et bouleverser le cosmos de la photographie. Cette technologie, c'est la photo numérique. En quelques années, les appareils photo numériques, dénués de pellicule et équipés de capteurs digitaux ont envahi les rayons des grandes surfaces, trusté les ventes sur Internet, balayé d'un revers de main les gammes argentiques. Ce fût l'affaire de 5 ans. Les premiers reflex grand public firent leur apparition, de quoi donner une nouvelle jeunesse aux objectifs de papa, et réconcilier les amateurs de nouvelles technologies avec les photographes professionnels. Une nouvelle ère de la photographie était née.

De nouvelles vocations

La révolution technique a eu lieu. Mais que dire de l'impact sociologique de ces bouleversements ? En quoi le numérique a modifié la perception de la photographie auprès des gens ?

Tout d'abord, le numérique a créé des vocations. Quelques centaines d'euros d'économies, un ordinateur à disposition, et tout un chacun a pu se rêver photographe. Des centaines, des milliers, puis bientôt des millions de personnes se sont mises à pratiquer la photographie, de manière plus ou moins autodidacte, avec plus ou moins de sensibilité et d'esprit. Certains ont « réussi », ont vu leurs photos diffusées sur les plus grands médias, publiées, achetées… Beaucoup n'ont jamais atteint leurs objectifs et n'ont jamais touché du doigt leurs rêves de photographes.

Le regard des gens sur la photographie au sens large a changé. Une discipline autrefois considérée comme technique et artistique est devenue un loisir, une distraction abordable un téléphone à la main, n'importe où, n'importe quand.

J'achète un APN et je me lance

Les bases techniques de la photo, avouons-le, ne sont pas bien difficiles à comprendre pour une personne normalement constituée et un minimum documentée. Camera obscura, et cætera. De la lumière qui entre par un trou plus ou moins grand, pendant plus ou moins de temps, pour produire une image plus ou moins exposée. Certes. C'est un peu schématique, mais soit. Ce qu'ont perdu les aficionados du numérique en maîtrise technique ne les a pas empêché de produire des images techniquement correctes, le matériel bienveillant aidant. Mais si la photo n'est techniquement pas si compliquée, elle l'est à bien autres endroits…

L'œil du photographe

Tous les vieux de la vielle se feront un plaisir de le marteler : un photographe, c'est avant tout un œil. Un œil aux aguets, un œil alerte et curieux. C'est là tout le sens du métier de photographe (oui oui, photographe a été un métier…), et cette aptitude si chère ne s'apprend qu'à force de persévérance, d'expérience et de rencontres.

Heureusement ou malheureusement (tout dépend du point de vue…), cette aptitude ne s'inculque pas aux machines. Soit, on trouve aujourd'hui en tête de gondole des APN qui détectent les sourires (non, ce n'est pas une blague), qui mettent au point automatiquement sur les visage. On s'approche, bon an mal an, de la prise de vue assistée, de « l'œil sous tutelle », en quelque sorte. Alors, à quoi bon apprendre la photographie en 2010 ?

Pourquoi donc alors apprendre la photo ?

Pour tenter de répondre à cette question, on peut aujourd'hui s'interroger sur les capacités des appareils photo du futur.

On le sait, l'APN de demain géolocalisera chacune des photos que nous prendrons, reconnaîtra les visages photographiés et les classera, les téléchargera sans fil vers d'autres espaces de stockage, en WIFI ou autre, etc. Ces petites innovations pratiques sont, dans l'ensemble, plutôt de bonne augure(pour ceux que le bain d'ondes permanent ne dérange pas)…

On le sait aussi, le futur APN limitera tellement le bruit, même à des niveaux de sensibilité très hauts, qu'il sera presque possible de photographier dans la pénombre sans grain. Voici une nouvelle qui perturbe un peu le photographe amateur : quid du réglage de la sensibilité ? De ce fameux compromis sensibilité/grain ? Plus grand chose, a priori…

Les stabilisateurs d'image gagnant en performance, il sera sans doute possible de photographier à main levée dans des conditions difficiles, s'affranchissant d'un support stable.

Les images giga-pixelisées occuperont peut être quelques uns des dizaines de téraoctets que contiendront nos disques durs, autorisant des agrandissements monstrueux et surtout des recadrages improbables. Pourquoi s'embêter à cadrer proprement, nous laisserons peut être l'ordinateur recadrer l'image, en respectant la règle des tiers vis-à-vis du ou des sujets qu'il aura lui même détectés…

La profondeur de champ, quel casse tête ! Réglage de l'ouverture, compromis avec la vitesse… Pourquoi se priver d'utiliser une fonctionnalité de modification de la profondeur de champ et le focus a posteriori, c'est à dire après la prise de vue !

La vidéo à très haute définition qui équipera nos APN permettra sans doute d'extraire du film des photos bien définies : filmons au lieu de photographier, et extrayons les vues qui nous intéressent, comme des arrêts sur images…

On pourrait continuer des heures, ressassant les innovations certaines, probables ou moins probables. Mais finalement, quel intérêt ?

L'outil ne connait pas le beau

Ce qui sauvera peut être la photo (à qui ont avait déjà prédit une mort certaine avec l'arrivée du numérique…), c'est que l'outil, l'artefact technique, l'appareil, ne connaissent pas la beauté ! Et pour cause, la beauté est un concept on ne peut plus subjectif. Ne vous êtes vous jamais arrêté devant une photo floue en vous disant « hum, c'est bien vu », ou encore à la vue d'une image cadrée en s'affranchissant de toute norme, de toute règle, mais véhiculant un message puissant et génial ?

Bref, il y a dans une photo ce petit supplément d'âme qu'il faut être humain pour concevoir et comprendre. C'est sûr.

Partant de ce principe, nous touchons du doigt un semblant de réponse à notre question. Apprendre la photographie en 2010 (et a fortiori plus tard…), ça ne passe peut être plus nécessairement par un apprentissage poussé de la technique de base héritée de nos ancêtres, bien que cela soit passionnant à d'autres égards. L'apprentissage de la technique devient de moins en moins un pré-requis pour photographier. Est-ce à dire qu'il n'est plus nécessaire d'apprendre la photographie ? Certainement pas.

Apprendre à regarder, apprendre à s'émerveiller, à comprendre, à observer et à transmettre sont et seront toujours les qualités inhérentes à toute pratique photographique digne de ce nom. Alors certes, nos enfants n'apprendront peut être plus à déboucher un contre-jour avec un petit coup de flash ou à magnifier un feu d'artifice en passant devant l'objectif un chapeau entre les pétards. Mais ils n'échapperont pas à l'apprentissage de la photographie, pour bien photographier.

Débattons-en !

Qu'en pensez-vous, quelle est votre opinion sur le développement technologique et son impact sur la photographie, le métier, la technique ? On en parle sur le forum photo, venez donner votre avis !